Espaces, formes et contours

Remarquable papyrus iconographique égyptien
Décryptage d'un papyrus funéraire égyptien (3 parties)
Ce papyrus se lit de droite à gauche, il est exceptionnel par sa singularité et son expression iconographique.
1ère partie


Livre des morts de Seche (ou Sesekh ?) / Musée de Berlin Le défunt avec son crâne rasé peut être identifié à un prêtre. Il présente une offrande à Osiris, le dieu des morts, assis sur un trône posé sur une estrade. Osiris préside au tribunal de la justice.
Derrière lui deux déesses l’assistent, Isis sœur- épouse d’Osiris, ainsi que son autre sœur Nephtys. Chacune de ces déesses ont en main la croix ansée (signe de vie). En plus, Isis tient le sceptre ouas (symbole du pouvoir) et Nephtys un pilier djed (signe de stabilité).
Les deux bras de la déesse du ciel Mout soulèvent le soleil vieillissant figuré sous la forme d’une tête de bélier surmontée d’un soleil. En fin de journée, Mout avale l’astre solaire. Au matin, la déesse accouchera d’un soleil régénéré.

Shou, le dieu de l’air, porte une plume sur la tête, et il est représenté les bras levés en signe d’adoration du soleil. Il fait partie des dieux du tribunal divin. Le port d’une barbe postiche est signe de sa masculinité ce qui exclut qu’il s’agisse de la figuration de la déesse Maât.
Je vous soumets un hiéroglyphe que l’on retrouvera à plusieurs reprises sur d’autres parties de ce papyrus :
Je propose comme traduction de cette invocation :
Osiris seigneur de l’éternité (pour toujours), celui qui est à la tête (qui préside sous-entendu au tribunal).
Parfois, le dernier signe hiéroglyphique xnty est placé en tête de l’invocation, ce qui ne change rien au sens de la phrase.
À suivre et bon WE.
Michel

2ème partie
Le miracle s’accomplit, Osiris se réveille. Isis (à droite) et Nephtys (à gauche) adoptent la gestuelle des pleureuses. Le dieu Osiris, allongé sur un lit, redresse la tête, il revient à la vie.
Le fabellum est ce grand éventail qui accompagne ici Osiris et symbolise le pouvoir.
À gauche, les 4 fils d’Horus momiformes étaient chargés de la conservation des viscères du défunt. Après avoir été soumis à une sorte de salaison, ces organes étaient disposés dans 4 vases canopes.
Nous retrouvons dans cette partie le précédent hiéroglyphe sous les 2 formes évoquées.
Dans le prochain épisode, déchiffrement des figures énigmatiques de ce papyrus.
Bon WE.
Michel

Bonjour Michel

Je comprends mieux cette sculpture maintenant!

https://dominiqueartis.fr/wp-content/up ... 143421.jpg

Amitié

Jean François

Les tekenous anthropomorphes Tekenous accompagnés du hiéroglyphe « nefer » (parfait)

L’originalité de ce papyrus est la présence de formes étranges anthropomorphes appelées tekenous. Ces derniers sont figurés ici sous une forme humaine en position assise, et avec une tête et des yeux.
Les tekenous sont aussi représentés sous une forme massive avec la tête plus au moins distincte. Procession funéraire. Le tekenou se présente comme une masse noire placé sur un traineau (tombe de Ramose)

On parle souvent d’outre de cuir renfermant le tekenou. Il est souvent avancé que l’on gavait ce sac de résidus de momification, ce qui me laisse dubitatif. À ma connaissance, on n’a pas retrouvé une trace de cette enveloppe ?

Au Museum Hildesheim, il y a au-dessus d’un tekenou une inscription hiéroglyphique des plus intéressantes. Je relève 3 glyphes essentiels :
1/ figuration d’un scarabée
2 /un défunt étendu sur un lit 3/ Hiérogyphe « mskA » Le hiérogyphe « mskA » a un lien avec le tekenou, il signifie peau, cuir, enveloppe et désigne la peau en cuir enveloppant le défunt. Il voisine avec un autre glyphe représentant un défunt étendu sur un lit, ce qui peut être traduit par « l’endormi », la mort n’étant qu’un passage d’une vie à l’autre.
Cet endormi est précédé d’un scarabée signifiant « le devenir » indiquant que la mort est une étape transitoire.
Note : la médiocre qualité de l’inscription ne permet pas de reconstruire l’ensemble du texte.

À suivre.
Michel

Le tekenou, un élément de chaque individu
Selon mon interprétation, le tekenou est l’évocation d’un principe immatériel, il est une expression, l’image consubstantielle du dieu Osiris, c’est-à-dire de même substance qu’Osiris, au même titre que l’âme « ba » des défunts qui est figurée sous la forme d’un oiseau. Sur un autre papyrus funéraire, une 15 aine d’oiseaux sont représentés voletant au-dessus d’un défunt, pour autant les tombes n’étaient pas transformées en volières. Dans la religion judaïque, il y a également plusieurs « niveaux de l’âme ».

Ainsi, le tekenou constituerait, comme l’âme ba des défunts, l’un des composants de l’individu. Si je peux faire un rapprochement, dans le christianisme, le Saint-Esprit est bien figuré sous la forme d’un oiseau, il est la réplique de Dieu qui est Un, mais qui est représenté sous formes multiples, le Père, le Fils et le Saint-Esprit selon la théologie trinitaire. Sans son tekenou, le défunt, assimilé dans les textes à Osiris, serait incomplet, comme amputé d’une partie de sa personnalité.

Si l’on se réfère aux croyances dans l’Égypte pharaonique, chaque individu est constitué :
- d’une part d’éléments matériels tels le corps et le cœur
- d’autre part les composants immatériels comme l’ombre (principe insubstantiel), le ba (sorte d’« âme » figurée sous forme d’oiseau), le ka (énergie vitale), l’akh ( autre principe spirituel) et quelques autres…
À cette liste, il faudrait rajouter le tekenou qui m’apparaît aussi comme une composante immatérielle de l’individu qui deviendra selon les textes funéraires un Osiris.
Le tekenou serait l’une des facettes d’Osiris, une manifestation d’Osiris, une image insécable de ce dieu, ce qui explique qu’il accompagne le défunt lors de la procession funéraire. Il apparaît comme l’un des éléments de la personnalité de ce dieu, d’ailleurs, selon les traductions, tkn signifie celui qui est proche, intime.
Extrait du Dictionnaire Rosette
Dans les prochains messages d’autres éléments encore plus probants.
MHG

Quelle signification donner au tekenou-nefer ? Hiéroglyphe nfr (ci-dessus en rouge) accompagnant les tekenous
Hiéroglyphe nefer :
Ces figures énigmatiques sont ici accompagnées du hiéroglyphe nfr très valorisant et qui signifie parfait, beau… et que l’on retrouve dans Nefertari, Nerfertiti, Nefertoum…
Par ailleurs, le fait que dans le papyrus de Berlin, le tekenou soit accompagné du hiéroglyphe nefer (le parfait), n’a rien de surprenant si l’on se rappelle l’épithète « oun-nefer » (l’être parfait) est souvent attribué à Osiris.
Ainsi, le tekenou-nefer, qui apparaît ici complétement intégré au mythe osirien, est très lié au culte d’Osiris, le dieu des morts et de la renaissance, d’autant que le défunt, justifié (innocenté) par le tribunal, sera alors assimilé à Osiris. Le défunt, comme Osiris, ressuscitera.
Dans ce papyrus de Berlin, le tekenou, sous forme d’une masse inerte, prend une forme humaine, il se redresse, il se réveille.

D’autres éléments viennent conforter la proximité du tekenou et du défunt.
À suivre et avec tous mes meilleurs vœux pour 2021 !
MHG

La symbolique des couleurs

Dans le cas présent du papyrus de Berlin, la couleur des tekenous passe de la noire, expression de la nuit, couleur de la mort, à la couleur verte symbolisant la reprise de la végétation dans la symbolique égyptienne, c’est-à-dire la renaissance.

Reportez-vous également à la couleur verte du visage d’Osiris présidant le tribunal du jugement dernier et à celle d’Osiris, figuré en phase de réveil, étendu sur son lit.

Or, dans les livres funéraires intitulés « Pour revenir au jour » chacun peut constater que la figuration du tekenou est très étroitement associée au rituel de renaissance d’Osiris. C’est vraisemblablement pour cette raison qu’il s’appelle « tknw », signifiant « celui qui est proche, intime ».

Autre détail important, le tekenou sur la barque porte une ceinture de couleur rouge à fort potentiel de vie. Le rouge est la couleur de la ceinture d’Isis (nœud Tit). Cette déesse protectrice est considérée comme une grande magicienne qui a la capacité de redonner la vie.
Bon WE.
MHG

Le Tekenou serait notre part invisible, dans l'ombre d'elle même !

Il n'a pas de bras le Tekenou, pas de bras agissant, pas de bras pour les liens, il ne peut rien brasser ni embrasser, même pas la bière, mais les 4 divinités représentées derrière Isis, n'ont pas de bras non plus...

Le Tekenou, c'est un peu comme le Schmürz de Boris Vian dans les Bâtisseurs d'Empire, qui est là sans être là, réel sans être réel, transparent et pourtant suffisamment opaque...psychopompe et bouc émissaire...

Osiris ne fût-il pas le Bouc émissaire sacrifié, tel le Christ, le Schmürz que seul l'âme d' un enfant sait prendre soin de lui ?

Amitié

Juste à temps !
Bonne année Michel !

Que cela me semble difficile l'interprétation des hiéroglyphes. Par exemple pour le nefer, j'aurais parié plutôt sur une mandoline !

Merci Olivier, pour tes bons vœux et je te renouvelle les miens.
Et au plaisir de continuer à te lire, sans pourtant avoir les bases pour intervenir en matière d'architecture.

C'est vrai que sur le papyrus de Berlin le hiéroglyphe nfr accompagnant le tknw ressemble à une mandoline.
Bon WE.
Michel

Le tekenou "psychopompe", j'aime bien cette allusion à Osiris "conducteur des âmes".
Michel

Jean-François a écrit :« Osiris ne fût-il pas le Bouc émissaire sacrifié, tel le Christ… »
On peut faire ce rapprochement. Effectivement, dans le christianisme on retrouve un certain nombre de variantes et de thématiques inspirées de la civilisation égyptienne. Toutefois, la cause de la mort du dieu Osiris est une histoire de famille. Osiris a été tué par Seth, son frère qui souffrait d’une jalousie dévorante.
Par ailleurs, comme Jésus, Osiris est « ressuscité entre les morts ». Dans le même ordre d’idées, Nout, la déesse du ciel, chaque soir avale l’astre solaire, le régénère pour le mettre au monde chaque matin (v. plafond du temple de Dendérah).
Le dieu Osiris, c’est l’espérance d’une résurrection, d’une autre vie après la mort, on retrouve le même message d’espoir dans beaucoup de monothéismes.
Osiris sur son trône figure le juge du tribunal suprême, il a le pouvoir de rejeter les condamnés dans les flammes des enfers, ou si la balance a penché du bon côté, d’épargner et d’offrir une nouvelle vie dans l’autre monde aux heureux élus. Ce genre d’évocation nous renvoie au jugement dernier et à la pesée des âmes que l’on retrouve figurant sur de nombreux lieux de culte du christianisme.
Le fabellum (genre de grand éventail avec des plumes) présent dans le papyrus égyptien de Berlin, était aussi employé dans les cérémonies papales pour représenter le pouvoir.

Bonjour Michel

Oui, tout à fait d'accord, aussi je profite de ton intervention pour me poser la question au travers sur l'oeuvre de René Girard, s'il a abordé les mythes de l'Egypte ancienne au crible de sa théorie du bouc émissaire, ce qui ne me vient plus à l'esprit malgré ma lecture de deux de ses ouvrages, je doute.

Je vais faire une recherche sur ce sujet.

Seth découpe son frère Osiris, le met à mort, en fait une victime mais aussi un possible coupable, le rendant ainsi coupable, coupé du monde de la vie, coupé d'Isis qui devra rassembler chacune des parties pour reconstituer son tout, mais elle ne retrouve pas son sexe, sa semence, sa pérennité !

Osiris, bouc émissaire assassiné, en sort sacralisé car sacrifié, donc sacré...

Seth et Osiris sont les deux faces opposées d'une même pièce, pièce de théâtre, tragédie.

Bonjour,

Autre geste d'adoration du défunt repris par le Christianisme.

Au cours du déroulement des cérémonies religieuses dans nos églises, j'ai été surpris que des participants en prière restaient debout les bras ouverts et les mains tournées vers le ciel. Sur le papyrus de Berlin, le défunt adopte la même attitude.
Nous n'avons rien inventé.
Michel